Close

L’empowerment est-il une application du principe de subsidiarité ?

Récemment, lors d’un déjeuner, mon parcours académique en Philosophie avant un 3ème cycle à l’Université Paris Dauphine-PSL a suscité la curiosité de mon interlocuteur. Il m’a demandé si j’utilisais la philosophie dans mon quotidien de consultant.

Je lui ai répondu que, bien que la philosophie puisse sembler éloignée de mes activités quotidiennes, mon approche en est profondément imprégnée :

  • Une approche holistique : j’aborde les problématiques des entreprises et des organisations dans leur globalité, pour trouver des solutions alignées, mesurées et cohérentes avec les objectifs visés.
  • Une approche humaniste : j’associe la bienveillance à l’exigence, tout en gardant bien à l’esprit la réalité économique et la performance recherchée.
  • Une approche pragmatique : mon orientation vers le métier de consultant est née de mon attrait pour son caractère analytique et ancré dans la réalité, associant à la fois recherche et action.

En fouillant dans mes archives, j’ai retrouvé un mémoire en philosophie morale et politique que j’avais rédigé en 1997. J’y étudiais une méthode de management venue des États-Unis, l’Empowerment, en m’interrogeant sur sa proximité avec le principe de subsidiarité.

Bien que ce mémoire ait été écrit il y a plus de 25 ans, les questions qu’il soulève restent d’actualité pour les entreprises. L’empowerment et le principe de subsidiarité sont toujours des concepts pertinents dans la réflexion sur l’organisation et la gestion des entreprises.

  • L’empowerment, en particulier, est une approche de plus en plus populaire dans les entreprises modernes, qui cherchent à donner plus d’autonomie et de responsabilités à leurs employés pour renforcer leur engagement, leur créativité et leur productivité. De nombreuses études et recherches ont été menées sur ce sujet depuis la publication de ce mémoire, et une discussion et un échange d’idées sur les avantages et les défis de l’empowerment dans les entreprises d’aujourd’hui pourraient être très enrichissants.
  • Le principe de subsidiarité, quant à lui, issu de la doctrine sociale, est un concept plus large qui peut s’appliquer à de nombreux autres domaines, y compris la politique, l’économie et la société civile. Il est toujours pertinent de réfléchir à la manière dont les décisions et les responsabilités peuvent être prises au niveau le plus approprié, et comment les différents niveaux de l’organisation peuvent travailler ensemble de manière efficace et harmonieuse.
L’empowerment est-il une application du principe de subsidiarité ?

Dans les années 1980, le management autocratique traditionnel commence à être remplacé par un style participatif. C’est le début de grands changements dans le monde de l’entreprise qui est au cœur de la vie économique. Désormais, bien des directeurs consultent les salariés impliqués, avant de prendre une décision. En effet, afin que les salariés soient suffisamment concernés et impliqués pour réussir ce qu’ils ont à faire, il apparait intéressant de les faire intervenir dans le processus de décision. C’est ce que fait le management participatif qui marque une évolution importante, mais reste en fin de compte traditionnel et directif. Les salariés prennent peu de décisions, ne s’impliquent pas tellement plus dans leur travail et n’ont pas le sentiment d’appartenir davantage à l’entreprise. L’empowerment fait alors son apparition aux Etats-Unis, mais aussi dans le monde entier. Il apparaît en France surtout au début des années 1990, et aujourd’hui nombreuses sont les entreprises qui décident d’évoluer vers l’empowerment, pour les excellents résultats que cela apporte.

Ce mode de management, qui semble suivre logiquement le mode participatif, est fondé sur l’autonomie et la responsabilisation des salariés. « Empower » en anglais signifie donner du pouvoir à quelqu’un. L’empowerment consiste à impliquer les individus en leur donnant des responsabilités, et la possibilité de prendre des initiatives. Dotés des pouvoirs et des compétences nécessaires, ils sont décisionnaires dans leur domaine d’activité et assument les conséquences de leurs choix pratiques. Ceux-ci peuvent prendre par exemple, certaines décisions sur les lignes de production sans en référer à leurs supérieurs hiérarchiques. En fait, l’empowerment repose sur une idée simple : ce sont ceux qui effectuent le travail qui sont le plus à même de prendre les décisions adaptées à celui-ci.

Pour aller plus rapidement et améliorer la qualité des produits ou des services, il semble bon de faciliter par l’autonomie, la prise de décision et la résolution des problèmes, au plus près du terrain. En effet, l’initiative et la créativité apparaissent fondamentales pour dynamiser une entreprise et apporter les améliorations toujours recherchées. Si on laisse s’exprimer l’initiative et si on laisse davantage de liberté, d’autonomie, alors on permet aux salariés de se donner beaucoup plus à leur travail, de sentir que leur poste leur appartient, de leur faire saisir la place qu’ils occupent au sein de l’entreprise, et d’en saisir les objectifs. Stéphane Moriou, spécialiste de la question au Cabinet DDI, note que « c’est dans un environnement qui favorise l’appartenance et l’identification qu’ils seront à même de prendre les meilleures décisions relatives à leur poste et d’atteindre des niveaux de performance élevés. » (Stéphane Moriou, l’Empowerment in 10 outils clés du management, p.40) C’est ce que permet l’empowerment : il développe le sens et le sentiment d’appartenance par l’initiative et la créativité.

Dans l’usine Coca-Cola du Var qui applique l’empowerment, les résultats sont probants : en un an, les réclamations clients ont baissé de 33%, les erreurs de facturation ont diminué de 40% et 10 millions de francs d’économie ont été réalisés sur les emballages et les ingrédients. Comment expliquer de tels résultats ? Nous avons vu que l’empowerment vise à motiver les salariés en les impliquant au maximum dans leur travail, par l’autonomie qui leur est conférée.  » Plus impliqués, ils peuvent libérer leur énergie, leur capacité d’initiative et trouvent un intérêt personnel à améliorer les performances de l’entreprise, en termes de qualité, de service clientèle et de productivité notamment. » (L’encyclopédie pratique du management n.22. L’essentiel du management, décembre 1996). Ces résultats répondent à la finalité de l’entreprise, qui est d’assurer la production de biens et de services correspondant aux besoins humains. L’empowerment semble donc être un bon moyen pour parvenir aux fins que sont l’amélioration de la qualité, de la productivité, de la satisfaction de la clientèle…

Mais comment cela se passe-t-il concrètement dans l’organisation de l’entreprise, car il semble que cela bouleverse totalement l’ordre hiérarchique habituel. Nous concevons facilement l’entreprise comme divisée en deux groupes l’autorité et les exécutants. Comment donc penser une organisation où on laisse de l’autonomie aux employés sans pour autant tomber dans une forme d’anarchie si l’on peut dire ? En effet, il est nécessaire qu’il y ait un principe directeur pour que tous se dirigent vers une même fin. Et en même temps, comment concevoir un ordre où la présence de l’autorité ne vienne pas empêcher le déploiement des initiatives personnelles ?

Nous avons dit que l’empowerment est fondé sur l’autonomie et la responsabilisation des salariés. Ceci ne veut pas dire que c’est un principe d’indépendance. Ce que l’on veut manifester avant tout, c’est que les salariés ne sont pas de simples exécutants. De par leurs fonctions, ils sont mieux placés que quiconque pour prendre des décisions relatives au gain de temps dans la production d’un produit par exemple. Il ne faut pas confondre autonomie et indépendance. « Indépendance » signifie absence de toute autorité extérieure, celui qui est indépendant est à lui-même sa seule autorité. « Autonomie », au contraire, sous-entend que la personne qui en jouit, est solidaire d’un ensemble plus important. Il en ressort que le terme d’interdépendance est inséparable de celui d’autonomie. L’empowerment n’est donc pas un principe d’indépendance, mais d’interdépendance. C’est ce qui explique que les entreprises qui appliquent l’empowerment, se « divisent » en équipes autonomes composées de personnes qui le sont elles-mêmes. Nous venons de dire que l’entreprise est répartie en équipes, il n’y a pas de division sticto sensu puisqu’elles sont en interdépendance.

L’équipe, quant à elle, est le centre d’implication de chacun, selon sa spécificité ; mais tous savent ce que fait son voisin car leur travail rentre dans un même processus. Les divers collaborateurs sont même capables d’occuper plusieurs postes. Chaque groupe est responsable d’un processus, complet ou partiel ; d’un produit ou d’un service. Par exemple, ces équipes autonomes peuvent prendre en charge l’ensemble d’une chaîne de production, depuis l’approvisionnement en matières premières jusqu’au contrôle de la qualité. II n’y a pas réellement de limites en soi quant aux responsabilités qu’elles peuvent recevoir.

Bien entendu, l’entreprise n’est pas composée de seules équipes. Prenons le cas de l’usine Motorola d’Angers, qui fabrique des modules électroniques pour l’industrie automobile, et qui est à l’origine du travail sur ce sujet :

« Sur les deux lignes de fabrication de l’usine, opérateurs et techniciens s’organisent en « groupes de process », (c’est-à-dire responsables d’un processus.) des structures d’une quinzaine de personnes chargées de gérer une partie de l’activité de production. Au nombre de quinze, ces groupes sont dotés d’une large autonomie. (…) Le premier groupe, celui qui se trouve au début de la ligne, prend par exemple connaissance du plan de production et met à sa disposition les matières premières indispensables. Ses membres règlent eux-mêmes les équipements, font de la maintenance préventive ou gèrent les stocks de consommables nécessaires au travail quotidien (de la burette d’huile au petit outillage).

Mieux : en cas de besoin, les groupes de process peuvent décider d’arrêter la ligne ou de changer de production, malgré les conséquences financières d’une telle décision. Bientôt, ils pourront également définir le type de formation qui leur paraît adaptée aux objectifs assignés.

A côté de ces groupes autonomes, une autre cellule, formée exclusivement de techniciens et d’ingénieurs, est chargée d’apporter son soutien technique. Enfin deux équipes de niveau ingénieur orientent l’activité et gèrent les problèmes pratiques dans l’atelier. Ce sont les « six-teams » ainsi nommées parce qu’elles regroupent au minimum les six compétences indispensables au fonctionnement de la ligne (production, ressources humaines, qualité, maintenance, produits et tests). Pas question de les isoler dans des bureaux. Ces cellules sont sur le terrain où elles assument la responsabilité des opérations aux yeux de la direction. « Leur rôle consiste surtout à affecter des ressources et à donner des priorités », explique l’un des responsables de production ; mais il n’y a ni superviseur, ni contremaître, ni chef de service. » (« Motorola invente les ateliers sans chefs » in L’essentiel du management, n°18, août 1996)

Cette organisation n’a rien d’autocratique, au contraire. On parle d’organisation horizontale, c’est-à-dire que les organigrammes se sont aplatis avec la suppression de niveaux hiérarchiques, et que l’on a privilégié le fonctionnement en réseau ou en équipe. Chez Motorola, il ne reste plus que quatre niveaux entre l’opérateur et le directeur général du site, contre six ou sept auparavant. Tout ceci introduit une grande souplesse dans la gestion de l’entreprise et favorise une meilleure réactivité aux évolutions du marché et aux différentes attentes des clients. En donnant aux salariés les moyens de maîtriser les processus dans lesquels ils sont impliqués, en revalorisant le travail de production et en améliorant la qualification et la polyvalence des équipes, ce mode d’organisation doit logiquement permettre à l’activité de progresser, en termes de productivité comme de qualité.

Ainsi, la formation est un des éléments essentiels, un véritable pilier, de la mise en place de l’empowerment, avec l’information. En effet, si l’on veut laisser de l’autonomie aux employés et qu’elle soit féconde, il est nécessaire non seulement de faire confiance mais surtout de les former à être capable d’opérer seuls et de les informer suffisamment.

« La communication est le premier pas vers l’implication » (Stéphane Moriou, 10 outils clés du management, p.54) note Stéphane Moriou. Toutes les semaines a lieu une réunion durant laquelle les « six-teams » dévoilent les résultats de la semaine précédente aux opérateurs et aux techniciens : production, qualité, livraison des clients…. Elle est suivie d’une autre réunion par « groupe de process » pour élaborer en fonction des informations reçues, le plan et les objectifs de la semaine. De même, tous les ans en début d’année, une réunion a lieu pour analyser les résultats de l’année écoulée et établir les objectifs de la suivante. Le plus important dans l’information demeure ce qu’écrit Henri Laborit dans La nouvelle grille « Pour que chaque niveau puisse s’intégrer fonctionnellement dans l’ensemble, il faut qu’il soit informé de la finalité de l’ensemble et qui plus est, qu’il puisse participer au choix de cette finalité. » (Henri Laborit, La nouvelle grille). En effet, la connaissance de la finalité est véritablement le moteur de toute action, elle aide à choisir et à poser les actes qui permettent d’y parvenir.

Il faut également donner à chaque salarié, autant aux managers qu’aux collaborateurs, les moyens de réussir en développant en eux de nouvelles compétences par la formation. Chez Motorola, on parle même d’ « éducation des salariés. » Car si l’on est freiné dans un projet, ne sachant pas comment procéder par exemple, c’est démotivant et dans ce cas l’autonomie n’est pas bénéfique, au contraire. « Un effort de formation est donc indispensable. Formation technique pour développer la polyvalence au sein de l’équipe, mais aussi formation générale (à l’expression orale, à la conduite de réunions, à la connaissance des marchés)  » (L’encyclopédie pratique du management, L’essentiel du management, n°23, janvier 1997). Les salariés doivent apprendre à identifier les problèmes et les résoudre par eux-mêmes, mais aussi évaluer les compétences qu’ils devront développer pour assumer une nouvelle responsabilité. Chez Motorola, la formation occupe une grande place : « Chaque salarié est sensé développer sa polyvalence pour évoluer sur trois postes, à l’intérieur d’un même groupe de process ou dans un autre. » (Motorola invente les ateliers sans chefs, L’essentiel du management, n°18, août 1996) Cette polyvalence favorise une meilleure interaction entre les hommes et permet de maintenir un fort niveau de motivation, puisqu’ils ne sont pas obligés d’exécuter une seule et unique tâche. Il n’y a pas de chance, en principe, que les employés tombent dans une routine comme celle que l’on peut connaître dans certaines chaînes de production.

Le dernier pilier de l’empowerment est le système d’évaluation. Tout le monde est évalué, de l’opérateur au directeur général du site. « L’évaluation porte sur trois groupes de critères -compétences techniques, comportement et performances – eux-mêmes divisés en sept rubriques : compétences, résultats de production, proactivité, responsabilité et participation, capacité à travailler en groupe, respect des règles, capacité d’adaptation et disponibilité, et organisation. (…) L’objectif est d’apprécier la contribution des collaborateurs à la performance de Motorola. Pour chaque critère, il s’agit de déterminer si la personne est « frein’, « neutre », « moteur » ou « turbo ». » (Motorola invente les ateliers sans chefs, L’essentiel du management, n°18, août 1996)

Voilà une rapide présentation de l’empowerment, méthode de management qui est appliquée de plus en plus en entreprise (IBM, Hewlett Packard, Eastman Kodak, Rank Xerox…), et qui est parfois traduit par « ‘implication totale », « délégation », « responsabilisation » ou « pouvoir d’agir ».

Volontairement nous ne l’avons pas traduit, car il semble que ces traductions ne recouvrent pas la totalité du concept. En lisant cet article, nous le rapprochons du principe de subsidiarité, principe politique qui serait appliqué à l’entreprise, tout en émettant quelques réserves. Pourquoi ce rapprochement ? Car comme nous l’avons vu, l’empowerment est fondé d’une part, sur l’autonomie et sur la responsabilisation des salariés et d’autre part, sur l’idée que ce sont ceux qui effectuent le travail qui sont le plus à même de prendre les décisions adaptées à celui-ci.

Qu’est-ce que le principe de subsidiarité ? C’est un principe selon lequel il faut donner le maximum de pouvoirs et de responsabilités au niveau le plus proche possible de l’émergence des problèmes. La subsidiarité consiste à donner, aux salariés dans notre cas, toutes les responsabilités qu’ils sont en mesure d’assumer, à condition qu’ils en aient tous les moyens correspondants. En cas de défaillance, le niveau hiérarchique immédiatement supérieur intervient pour aider, former, rendre capable, mais jamais pour se substituer. Notons ceci : « jamais pour se substituer. »……

Vous voulez lire la suite, je vous propose de me mettre un message privé sur LinkedIn ou par mail à l’adresse suivante : sebastien.manach@valens-consultants.fr